« Il y a quelques années, je me suis réveillée brutalement au milieu de la nuit, une étrange question me brûlant les lèvres. Quelle était la couleur des yeux de ma mère? »
Ainsi commence Ses yeux d’eau, magnifique nouvelle qui donne son titre au recueil et ouvre des dimensions aussi infinies et impalpables que l’onde.
Conceição Evaristo, née en 1946 dans une favela de Belo Horizonte au Brésil, sait de quoi elle parle quand il s’agit de raconter les méandres des vies laissées pour compte sous quelques bouts de tôle. Elle, qui a dû travailler dès l’âge de huit ans tout en poursuivant ses études jusqu’à devenir institutrice, n’a de cesse de raconter, dans ses romans comme dans ses nouvelles, les heurts et les pièges, mais aussi les enchantements des existences qui ne tiennent qu’à un fil.
La tragédie est toujours présente dans les nouvelles de Ses yeux d’eau. Elle rôde autour de tous les personnages, au cœur même du style de Conceição Evaristo qui dessine un lit de tendresse, profonde et subtile, aux corps écrasés par un système bâti sur la loi du plus fort et le racisme.
Loin des clichés et des habituelles conventions de genre, l’auteure nous entraîne dans des histoires étonnantes où les protagonistes ne se trouvent que rarement où on pourrait les attendre. On se souviendra longtemps d’Ana Davenga et de son homme-fontaine, bandit au grand cœur prompt à la colère, « habillé de sa peau noire et lisse », qui pleure à chaudes larmes dans la jouissance.
Kits Hilaire
Ses yeux d’eau de Conceição Evaristo, Éditions Des Femmes – Antoinette Fouque 2020