Dans ce très court roman fondé sur l’emprise des résurgences enfantines et la prégnance des sensations, s’enchevêtrent trois destinées : celles de Robert, celle de René et celle de Claire.
L’histoire commence par un viol dont les conséquences vont conduire à un autre drame, tandis que les deux personnages principaux, Robert et Claire, voient leur enfance s’ouvrir comme un fruit trop mûr et les éclairer sur ce qui les meut ou les entrave. On plonge dans l’intériorité obscure et poisseuse des personnages comme dans un lieu archaïque. Dans celle de Robert le corps est une charge en même temps qu’une limite entre les murs de laquelle il tourne en rond comme un fauve enfermé, de façon obsessionnelle et mécanique. Pour Claire, c’est un lieu sans contour, où tout se trouve sous une surface réverbérante qui l’empêche d’en appréhender la profondeur et les formes. Elle vit à cette surface jusqu’au moment où elle en prend conscience et se laisse couler.
Tout le roman tourne autour des liens maternels : René hait sa mère qui l’aime tendrement, mais le torture en aimant trop les hommes. Robert hait sa mère et ses sœurs racistes et conventionnelles, mais trouve auprès de la mère de René une mère de substitution qu’il aime. À première vue Robert est complètement primaire, il ne pense qu’à sa bite : va-t-elle bander à cause de la chaleur au point de lui empoisonner l’existence, va-t-elle disparaître dans les tunnels fourbes d’une femme, va-t-elle lui faire défaut et le couvrir de honte au moment où il aurait besoin de s’en glorifier. C’est d’ailleurs cette subordination pathologique à son membre qui lui fait voir avec complaisance et tendresse la mère de René. Elle est la première et la seule femme qui se soit occupée de lui du point de vue de la séduction, qui ait pris au sérieux son désarroi devant ses yoyos hormonaux et ses boutons, qui ne se soit pas moqué de lui mais au contraire lui ait acheté des lotions, l’ait rassuré. De plus, c’est une femme qui très vite a lâché prise devant les défaites du corps, qui d’une certaine façon n’a jamais menti. Elle est gentille et attentionnée. Robert, dont la tendresse envers la mère de son pote n’a jamais connu la moindre ambiguïté, se sent le vrai fils de cette femme gouvernée par son corps. De là vient la haine de René envers sa mère dont l’inconduite l’humilie, envers ce pote qui l’a sauvé autrefois mais qui est comme sa mère, un obsédé.
Claire retrouve brusquement l’odeur douce et sucrée qu’elle a gardée enfouie en elle et refoulée jusqu’à ce jour, l’odeur d’un bonheur qui s’est arrêté quand elle avait sept ans. Et on se rend compte assez vite qu’elle a refoulé et effacé cet insoutenable paradoxe sur lequel tient son intégration dans la société française, elle dont les parents viennent d’extrême-orient.
Tous les personnages sont terrassés par des impulsions aveugles, comme s’ils étaient les marionnettes de leur enfance. Dans ce roman les conventions éclatent, il n’y a plus qu’une animalité qui cherche simplement à se satisfaire sans faux semblants, quête la plénitude de l’enfance, et qui ne craint ni la laideur ni la violence mais redoute l’étroitesse et la stérilité des calculs rationnels et de ce qu’on appelle la morale.
Si l’intrigue ne se donne pas la peine d’être solide, elle n’a pas beaucoup d’importance dans ce récit fiévreux et aquatique qui donne une impression d’intensité presque oppressante. Et puis, tandis qu’on a l’impression que les personnages pourraient accéder à un peu de paix, ou du moins se connaître mieux, un invraisemblable couperet tombe et fait éclater toute possibilité de réparation. Entre alors en scène le quatrième personnage, une jeune étudiante qui va voir réunies leurs trois destinées le temps d’un soupir, pour la dernière fois.
Lonnie
fils de femme de Hélène Couturier, Rivages noir.
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