Photo © Pere Farré

Mike
d’Emmanuel Guibert

Mike est le premier texte « sans images » du dessinateur écrivain Emmanuel Guibert. C’est le prénom de son ami, un architecte américain, avec qui il partage la passion du dessin.  Grave et sensible, le récit est une « une version démaquillée, crue » du voyage qui l’emmène, le 31 décembre 2011, à Minneapolis afin de lui faire ses adieux.

Au bord de l’épuisement, Mike apparait en haut de l’escalier. « Il se maîtrise visiblement pour descendre avec naturel, droit et tendant les bras. Sa démarche est contrainte, pas son sourire… Je suis ici pour qu’il prenne congé du dessin. Tant qu’il ne l’a pas fait, nous prétendons ensemble qu’il est trop tôt pour qu’il meure ».

Emmanuel Guibert va passer quelques jours dans la maison d’en face et laisser sa mémoire lui rappeler les souvenirs, s’appliquant à trouver les mots justes. « C’est toujours bon de faire attention à ses mots… Parler comme il faut, c’est réguler son souffle, sa voix, son vocabulaire, ses mains, les traits de son visage. Ça fait du bien à celui qui parle et c’est la condition suspensive pour faire du bien à celui qui écoute ».

Le 2 janvier, à la demande de Mike, les deux amis échangent leurs carnets de croquis pour une ultime séance de dessin. « Mike entre dans la réserve de feuilles blanches… Le carnet ouvert sur ses genoux, il pointe son crayon sur la page de droite, la belle page. Il reste là un moment, face à son reflet dans la porte de l’armoire. Il fixe un point au-dessus de lui. Une longue inspiration suivie d’un soupir et il trace un trait ». Ému, Emmanuel Guibert reste en contemplation devant l’effort de son ami puis se décide. « Je lui emboîte le trait, je m’y mets ».

Dans ces deux vies, l’amitié et le dessin résonnent intimement. En amitié, il faut trouver le juste équilibre, ni trop léger ni trop lourd. « Pour bien se balancer, il faut passer de haut en bas et de bas en haut avec autant de bonne grâce. Il faut se réjouir d’élever l’autre comme d’être élevé par lui ». Le dessin d’observation remonte à la nuit des temps. C’est la trace qui permet de ne pas oublier. Les hommes préhistoriques déjà s’y exerçaient. Se questionnaient-ils eux aussi ? Comment aller au-delà du trait, faire advenir quelqu’un ? Comment faire pour que « la technique devienne entièrement docile » ?

L’ami s’en est allé. Reste le souvenir des derniers échanges, « ses mots bien choisis, le ton qu’il emprunte » et cet aveu : « Et comme ça a été beau d’exister… Il me le laisse entendre dans tout ce qu’il dit : comme ça a été beau d’exister » !

Elisabeth Dong

Mike d’Emmanuel Guibert, Gallimard, 2021

Photo © Pere Farré