On se souvient du film de Stanley Kubrick, Orange Mécanique, avec Alex, chef des droogies semant la terreur à droite à gauche en se nourrissant d’ultra-violence, de lait aromatisé aux amphétamines et de Beethoven. Imaginons-nous entrer dans son cerveau, voir le monde à partir de son espace mental envahi de voix persécutrices. C’est ce que propose ce seul en scène écrit par Charlie Breton pour le comédien Guillaume Constanza. Kubrick dénonçait un état totalitaire qui voulait mettre en place un contrôle de sa population par un traitement psychique. Charlie Breton s’intéresse quant à lui aux dimensions subjectives des violences radicales. « Comment échapper aux massacres advenus et toujours à venir, dit-il, quand frappant comme au hasard, des terroristes désirent faire du reste des vivants des survivants de leurs massacres, des morts en sursis ? ». Il nous montre la fissure psychique d’un homme progressivement coupé de la vie qui va basculer dans l’horreur et que seule la toute-puissance destructrice calme temporairement. « Les logiques radicales fonctionnent comme un sédatif, dit l’auteur, elles apaisent l’angoisse d’exister des individus qui y adhèrent ».
Sa mise en scène emprunte au cinéma le fondu enchaîné qui permet de superposer passé, présent et futur avec une ponctuation de la lumière noire, blanche – ainsi que toutes les nuances de blanc flouté au gris –, et les voix augmentées pour figurer un ogre persécuteur. Le comédien joue avec la musique de l’éclairage monochrome qui se pose sur diverses parties de son corps, immobile, tendu – une main qui s’ouvre, des os qui craquent, des bras qui se tordent, un genou qui fléchit lentement. Un homme à terre, qui rêve à sa mort imminente, se revoit sur le lac gelé de son enfance presque inerte déjà. Guillaume Constanza épouse avec une justesse infinie les moindres nuances d’un texte difficile qui fait alterner monologue et échos du quotidien, tandis que son corps manifeste des signes inquiétants de rituels paranoïaques. Ce récit des enfers adopte l’esthétique du rêve avec des collages de texte, des redondances, des effets de condensations des images. On est à l’opposé du naturalisme, de la représentation des idées au profit « d’une physique des sensations ». Sous l’orme est un spectacle exigeant, violent, courageux parce que sans aucune complaisance vis-à-vis du spectateur même s’il faiblit à la fin avec une reprise du thème initial injustifiée.
Charlie Breton nous alerte sur les ravages de la haine de soi, le sentiment d’un complotisme généralisé qui se retourne en rejet de l’humanité. Un spectacle décapant et nécessaire.
Sylvie boursier
Sous l’orme de Charly Breton avec Guillaume Constanza, création au théâtre des quartiers d’Ivry, Manufacture des œillets, du 12 au 18 juin 2021, reprise et tournée à prévoir.
Photo© Romain Debouchaud