Depuis la mort de Jina Mahsa Amini, assassinée en Iran parce que femme et Kurde, les rues perses résonnent sans répit du slogan donné au monde justement par les Kurdes – ces mêmes Kurdes qui ont fondé le Rojava où elles ont amplement démontré qu’il restait possible de vivre en harmonie dans une mosaïque composée d’Arabes, de Kurdes, d’Assyriens, de Yézidis, entre autres – : « Jin, Jiyan, Azadi », femme, vie, liberté… Et tandis que le gouvernement des mollahs se livre à une répression sans frein dans tout le pays – d’une manière particulièrement féroce dans le Kurdistan iranien -, sans parvenir à contenir une jeunesse qui préfère vivre libre le temps d’un cri que se résigner à une vie mort-née, résonnent aussi, en toile de fond, les mots de Forough Farrokhzâd, poète incandescente, cinéaste saluée par Chris Marker, morte en 1967 dans l’Iran du dernier shah.
« Quand ma confiance était pendue à la corde souple de la justice
Et que dans toute la ville
On morcelait les cœurs de mes lumières,
Quand l’on fermait les yeux enfantins de mon amour
Avec le bandeau noir de la loi
Et que des temps troublés de mes yeux
Jaillissait le sang
Et que dans ma vie
Il n’y avait rien, rien que le tic-tac de l’horloge
J’ai compris : il faut, il faut, il faut
Que j’aime à la folie »
Forough Farrokhzâd, qui écrivait dans son premier recueil de poésie :
« Je pense et je sais que jamais
Je ne pourrai me libérer de cette cage
Même si le geôlier me libérait
Je n’aurais plus la force de prendre mon envol »
s’est envolée pourtant. Considérée comme l’une des plus grandes voix de la poésie contemporaine, elle a posé des mots sur le désir des femmes, l’absence et le silence, la chair prisonnière, le désespoir et la jouissance. Jugée pour sa façon de vivre dite scandaleuse, pour ses textes dits dépravés et dépravants, privée d’un enfant qu’elle ne reverra plus après son divorce, elle a écrit, joué, filmé, aimé, sans peur et sans voile, avant de finir sa vie de femme libre dans un accident de voiture à l’âge de trente-deux ans, laissant une œuvre poétique aussi courte que fulgurante.
Kits Hilaire
Autre naissance de Forough Farrokhzâd, Héros-Limite, 2022, première édition en Iran, 1962.
Photo © Adèle O’Longh