Un sondage, du Figaro certes mais sondage quand même, affirmait qu’une grande majorité des Français situait le président Chirac, récemment disparu certes mais président tout de même, à un niveau qualitatif équivalent à celui du général De Gaulle. Le même journal commettait un article sur le fait que Chirac n’avait jamais été, au fond, (au fond de quoi je vous le demande) un homme de droite, ce qui aurait dû en pareilles feuilles contribuer à engager une procédure d’excommunication. En lieu de quoi, on le lui pardonnait, soulignant sa fibre sociale comme on sourirait devant un enfant de chœur surpris à se gaver du stock d’hosties de la sacristie, prêts en somme et compte tenu de la personnalité du pêcheur, à déclasser le péché capital au véniel.
Le phénomène de demi déification était saisissant au moment de l’élection d’Emmanuel Macron (pour ne parler que d’actualité) ; ces masses enjouées scandant son nom, l’espoir d’un peuple posé sur les épaules d’un technocrate boutant hors du siècle le concept de la droite et de la gauche, l’exaltation à être gouverné par celui-ci plutôt que par un autre. La raison voudrait plutôt et cependant qu’ils nous affirmassent et les uns et les autres « Passez votre chemin, je ne peux rien pour vous. » ou pire encore « il faudra bien, n’importe comment, que je fasse payer les moins riches, ils sont plus nombreux et moins puissants. »
Et c’est l’impossibilité de prononcer ces phrases, conjointe à celle de les entendre, qui fabrique l’indispensabilité du phénomène récurrent de la répétition des exaltations et des déceptions, des envolées célestes et du retour brutal à la terre ferme. Sans le mensonge consenti et ritualisé, point de démocratie.
Et si nous interrogions le fait politique non en fonction des actes de ses officiants mais en celle de l’ensemble des croyances que nous y déposons ?
Autrement dit, si nous considérions comme non anecdotique et, pourquoi pas, totalement fondatrice de notre rapport au pouvoir politique l’idée selon laquelle « les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent », pour citer Pasqua qui citait Chirac qui citait Henri Queuille qui, peut-être, ne citait personne, serions-nous mieux préparés à lire Francis Rissin ?
Ce type apparaissant un peu partout sur des affiches devient une sorte d’idole du peuple au point d’inquiéter le pouvoir. Personne ne sait vraiment qui il est mais peu importe, il va sauver la France. De quoi ? Voilà bien une drôle de question. C’est du reste le grand talent de Martin Mongin que se désintéresser de ce sujet (la France a été menacée de redressement par des générations entières de politiques sans que personne ne sache jamais exactement de quoi il s’agissait).
Francis Rissin marche sur l’eau, est intouchable, ne dépend que de la façon dont on le regarde ou le pressent. On a avec lui la même familiarité qu’avec notre inconscient, un peu lointaine, craintive à l’occasion, un peu comme le spectre du père fouettard dont on sait bien que la menace de son apparition n’est qu’un préalable rituel à la satisfaction de nos désirs en chemin émoussés par une forme de raison qui laissera chacun à sa place.
Du reste je m’égare peut-être à classer Francis Rissin au tiroir politique. Après tout il est peut-être écrivain, un de ceux toutefois dont l’œuvre est introuvable, ou un saint dont la béatification pourra toujours attendre… On aura beau le suivre, on ne le définira pas, on aura beau le précéder, il ne viendra pas. Il reste que cette poursuite proposée par Martin Mongin est obsédante et jouissive. Les quelques 600 pages que nous offrent les éditions Tusitala sont difficiles à lâcher. En somme, le silence qui suit la lecture du roman de Martin Mongin reste du Martin Mongin.
Un mot d’ailleurs sur Tusitala qui, sans doute, n’a pas le choix, n’a d’autre option que de se distinguer de ses grandes sœurs. On ne pourra jamais assez, et en discret aparté, les remercier d’avoir le courage de proposer en lieu de se préoccuper de segments, cibles et autres concepts visant à ce que le lecteur ne soit pas déçu, file bien good ou se vautre consciencieusement dans sa désormais sacrosainte bienveillance.
Christian Vigne
Francis Rissin de Martin Mongin, Éditions Tusitala 2019