A cheval sur le dos des oiseaux, au théâtre des Halles, festival off Avignon
« Alors Logan je le garde avec moi. Je lui montre les petits oiseaux en promenade. Comme on faisait avec mon père avant qu’y m’aime plus/on danse sur la fanfare même si ça va trop fort pour lui/ Je l’abandonnerai pas parce que c’est mon petit. Et qu’on se regardera jamais de travers lui et moi. »
Karine Bielen, la narratrice, a peur du vent la nuit et le soir boit un petit verre de rouge même si, elle le sait bien, « l’alcool, ça fait de la misère ». Elle n’est rien, qualifiée d’arriérée par les tests, ne possède que Logan, son enfant. Elle dont la vie est gérée par les services sociaux a décidé de ne pas avorter. Ce choix la constitue en même temps qu’il lui confère un terrible pouvoir sur un petit qui ne parle pas, ne sourit pas et crie la nuit blottie contre sa mère pour se tenir chaud. On sent le poids d’un engrenage dont elle n’a pas conscience.
Cette forme de théâtre social montre la « misère de position », chère à Bourdieu, qui voit les aspirations légitimes de tout individu à être comme tout le monde se heurter sans cesse à des contraintes, des lois, des chiffres, des tableaux, des normes qui lui échappe et qu’il finit par intégrer. La compagnie wallonne de la Bête noire donne la parole au peuple, a ceux pour qui le mot théâtre ne veut rien dire. Karine incarne cette sociologie de la parole, elle n’existe pas mais des milliers d’invisibles parlent par sa bouche.
Une scène vide avec une chaise et une fontaine d’eau, le décor donne toute son importance à ce qui se dit. Céline Delbecq, l’auteur, a un phrasé musical, rauque, simple et métaphorique fait d’images qui se chevauchent, justesse du texte, extrêmement fluide. Pas de ponctuation traditionnelle, de chapitres ordonnés mais un rythme, un souffle, des mots choisis, qui respectent la voix intérieure de son personnage. Et puis il y a Ingrid Heiderscheidt, bras en croix, vissée sur sa chaise de plastique, doigts noués, front plissé d’angoisse, « que la foule grignote comme un quelconque fruit » ; son jeu naturaliste et pudique nous bouleverse. Par sa bouche Karine devient sujet.
On est suspendu aux lèvres de cette femme qui sourit de ses pauvres tentatives pour montrer qu’elle « fait tout bien » comme on lui dit de faire, contente qu’on l’écoute ; on est gêné d’être là, parce qu’elle n’a aucune conscience de ce qu’elle dit, de la violence qu’elle subit, ne revendique rien, croit aux institutions, respecte « la dame du centre ». A la fin le noir tombe comme un couperet sur ses dernières paroles « je vais signer/mais/vous pouvez me dire ce qui est écrit ? /parce que j’aime pas lire ».
Festivaliers, Karine n’est rien et vous n’avez que l’embarras du choix. Pourquoi feriez-vous le déplacement ? parce que cette femme est poétique, vivante, drôle et intelligente parce que la rencontrer est un honneur et que vous n’aurez pas souvent l’occasion de croiser quelqu’un d’aussi délicat. Elle vous attend au théâtre des Halles.
Sylvie Boursier
A cheval sur le dos des oiseaux, texte de Céline Delbecq, Editions Lansman/Rideau de Bruxelles, mise en scène de l’auteur avec Ingrid Heiderscheidt.
Du 07 au 26 juillet à 16h30 relâche les jeudis 13 et 20 juillet au théâtre des Halles Avignon 22 rue du roi René.
Vu en Avant-première au théâtre ouvert Paris XX°