Photo@Adèle O'Longh

Adieu Tanger
de Salma El Moumni

Salma El Moumni met en exergue au début de son roman la phrase de Montaigne : « Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis. »
Elle qui parle de « l’impossible retour » partage ce sentiment avec nombre d’Iraniennes et d’Afghanes, pour ne parler que d’elles… Mais contrairement à ces dernières, Alia, la protagoniste de son roman en partie autobiographique, n’a pas caché son corps sous des couches épaisses pour ne pas « provoquer le désir des hommes », pour s’effacer de leur vision. Même sous un pull ample pour couvrir bras et fesses, elle a essayé de le laisser vivre un tant soit peu, de le laisser être.

« Tu as essayé de te voir à travers le regard de ces hommes, du cou au ventre, les fesses que l’on devine devant et qui dépassent du pull trop long, le jean moulant, le sexe trop souvent regardé. Tu as baissé la tête vers ton pubis pour chercher ce qui pouvait bien arrêter leurs yeux sur ce triangle, les plis, les angles. Tes doigts se sont posés sur la braguette, tu ne comprenais pas la fascination. »

Salma El Moumni dit avoir voulu « insister sur la transition d’un âge à l’autre », cet état particulier de l’adolescence où le corps de la petite fille devient visible autrement au regard masculin. Alors que celle-ci ne se pose pas encore de question sur sa propre sexualité : la sexualisation de son corps. Le moment où elle ne découvre sa transformation qu’à travers la violence d’inconnus sur le chemin du lycée.

« Quelqu’un t’a sifflée, et les manches trop longues malgré le soleil ont commencé à te peser. Tu as traversé brutalement afin d’éviter qu’ils te touchent et tu n’as pas vu la voiture qui passait. Les conducteurs accélèrent souvent quand ils voient une fille traverser, par provocation. (…) Les pneus ont crissé et il a sorti la tête de sa voiture, en criant. Cet homme vêtu de blanc t’a dit que tu cherchais les problèmes, habillée comme ça en plus. Lui portait du blanc parce qu’il allait prier. »

Alia va alors tenter de se voir de l’extérieur. Pour comprendre ce qui dehors suscite convoitise et animosité, dans le secret de sa chambre, elle va étudier son reflet sous toutes ses formes au moyen de son portable.

« La frontière entre ces hommes et toi se brouillait à mesure que les photos s’accumulaient, que les jours passaient. Tu étais à la fois toi et un autre. Toi au moment des photos, un autre quand tu les observais. Tu pensais saisir quelque chose, tu pensais mieux comprendre ce que tu représentais, l’objet que tu devenais.»

Au fur et à mesure que s’enchaînent les clichés, cet acte, intime, lui permet peu à peu de se détacher du regard des prédateurs et d’apprivoiser puis de se réapproprier son corps.

« Le corps que tu voyais sur les photos devenait plus incarné à mesure que tu le séparais du corps dans lequel tu vivais. Le corps des photos devenait séducteur, sensuel, les poses le suggéraient, le regard également. »

Mais ces photos vont fuiter, Alia va se retrouver en danger dans un pays où l’atteinte aux moeurs, loi fourre-tout servant principalement à brimer les femmes, est punie de prison ferme… Harcelée, elle est forcée à l’exil. Elle se réfugie alors en France où racisme et pauvreté sont l’autre face de l’oppression subie par les femmes maghrébines…

Premier roman de la jeune Salma El Moumni, Adieu Tanger a reçu le prix Roman des étudiants.

Kits Hilaire

Salma El Moumni, Adieu Tanger, 2023

Illustration @ Adèle O’Longh