Fin du monde
Voici encore un roman très fort (voir chronique précédente), le genre qui secoue le lecteur et le laisse hébété et ravi une fois la dernière page tournée.
Pour faire simple, on pourrait dire qu’Après nous le déluge — titre explicite à ceci près que le déluge n’est pas dans un futur lointain mais il est bien là, sous nos yeux — est un récit apocalyptique, mais ce serait bien réducteur.
« D’épaisses gouttes s’écrasent sur le revêtement, en dégageant cette odeur caractéristique de poussière humide. Un parfum qui sonnait les adieux de l’été, du temps où les saisons avaient un début et une fin, dirait le professeur. Les températures annoncées n’ont cessé d’augmenter ces vingt dernières années, faisant fondre les pôles, accélérant l’évaporation et rendant plus violents les ouragans. L’air que nous respirons nous maintient en vie autant qu’il précipite notre extinction. »
C’est un récit formidable, qui commence par un événement improbable : le soleil ne se lève pas. L’explication n’est pas fournie, nous ne sommes pas dans de la science-fiction, il est vaguement question d’un changement de l’axe de rotation de la Terre, mais on n’en saura pas plus. C’est comme dans la vraie vie, les personnages ne savent pas, ne comprennent pas, on leur cache tout et on leur dit rien. Et les eaux montent.
« Accoudé au parapet, je force ma raison à se mettre en veilleuse. Les réverbères, la lune et les étoiles voilées, d’autres lueurs moins crues projetées des hauteurs se reflètent en surface. Difficile de mettre des mots sur ce que je vois. La crue a tout englouti. Le fleuve, si près de l’embouchure, dévore la moitié de la colline. Le taudis de mon père a disparu. La belle demeure de Dalila, sur la rive opposée, a subi le même sort. »
Le récit nous parle d’un père et de son fils qui sont séparés par les événements, qui essaient de se retrouver, mais durant les sept jours de ce texte néobiblique, les péripéties sont de plus en plus folles, de plus en plus poétiques (on n’est pas dans la poésie gentillette, vous l’aurez deviné, on est dans le trash onirique) et l’auteur nous raconte ce dont l’humanité est capable dans ces moments terribles, c’est-à-dire du pire (le plus souvent) comme du meilleur (de temps en temps).
Et avec tout ça, la langue est magnifique, évocatrice, avec des insertions de textes étranges et de poèmes bienvenus, totalement en accord avec le propos et sa philosophie.
« Une bouée blanche, floquée Ebony Shine en lettres argentées, jaillit de nulle part. Tu la saisis, y passes le haut du corps. Attaches la corde du kamishibaï à ton poignet. Tu te laisses chahuter par les flots, engourdir par l’océan visqueux. Absent, tu subis ton sauvetage avec la sensation d’avoir les nerfs optiques montés à l’envers. Tu distingues le ciel, les étoiles clairsemées, tout en bas. Les pieds autour de toi, qui marchent comme au plafond. Des voix distordues qui lancent des ordres flous. – Laissez-le respirer… »
Car il y a une philosophie derrière ce récit qui se situe peut-être à la fin du siècle à en juger par le contexte climatique et politique, l’évocation des sang-mêlés, la pratique de la régulation drastique des naissances. Yvan Robin nous parle d’une civilisation à bout de souffle où certains écologistes se sont radicalisés pour se faire entendre (à moins que ce soient des radicalisés qui seraient devenus écologistes), provoquant des tueries de masse pour réduire la population. La folie collective est ainsi la conséquence des folies politiques, les gouvernements à courte vue provoquent la fin du monde, laquelle entraîne la possibilité d’un autre, moins rationnel mais plus durable, en tout cas plus dépeuplé.
Après nous le déluge est un livre à lire absolument, ce n’est pas un livre déprimant qui donne envie de se tirer une balle, c’est une fiction qui se dégage peu à peu du fatras du réel pour nous tirer vers un ailleurs merveilleux mais sombre, en espérant que le soleil se lève enfin.
François Muratet
Après nous le déluge, Yvan Robin, éditions In8, 2021
Après nous le déluge 2A © Gina Cubeles 2022