Avez-vous vu
Images de la vie
de John M.Stahl ?


Dans son excellent documentaire sur James Baldwin Je ne suis pas votre nègre, Raoul Peck fait référence à ce film de John M.Stahl où on voit une petite fille blanche dire à sa mère noire : Je veux être blanche.

Images de la vie nous éclaire sur la construction des imaginaires racialisés nord-américains.

Dans ce film de 1934, Peola se révolte contre le fait d’être traitée de Noire dans une société raciste alors qu’elle se voit blanche dans le miroir. Enfant, vivant dans un quartier peuplé de Blancs, elle ne comprend que trop ce qui pourrait susciter le rejet de ses camarades. Aussi, quand sa mère, interprétée par Louise Beavers, fait un jour irruption dans sa classe, elle tente de faire comme si elle ne la connaissait pas. L’institutrice dit à cette dernière qu’elle a dû se tromper et qu’elle n’a que des Blanches pour élèves. L’enfant, désignée par sa mère, devra tout de même la rejoindre, tandis que les autres, choquées, commentent sur son passage : « Elle est noire. Je ne savais pas qu’elle était de couleur. »

Quand la petite fille, qui ne retournera plus dans son école, crie ensuite à sa mère en pleurant :  » Je ne suis pas noire, je ne serai pas noire ! « , cette dernière essaie de lui enlever « cette folie » de la tête, aidée en cela par sa patronne qui lui propose de l’envoyer dans un pensionnat pour Noirs des États du Sud ségrégationnistes. La jeune fille se sauvera et, devenue une jeune femme, toujours aussi blanche, décidera de partir et de se faire passer pour blanche.

Cela dépasserait l’entendement si on ne se souvenait du film Black like me, de Carl Lerner, adapté du livre Dans la peau d’un Noir, de John Howard Griffin, où un fermier blanc qui prend en stop le journaliste qui se fait passer pour Noir lui dit avoir exercé un droit de cuissage sur chaque femme noire qui a travaillé pour lui. Quand le journaliste lui demande : Vous devez avoir alors beaucoup d’enfants ? Il rit et secoue la tête : Non, les enfants des négresses ne sont pas les siens. Il a juste rendu service à la race en l’éclaircissant. Que voulait-il dire par là ? Alors qu’aux États-Unis ne s’appliquait pas le « Sauver la peau » antillais. Le sortir du cauchemar par l’éclaircissement de la peau, le passage au mulâtre, puis au quarteron et enfin à l’octavon – reproché en leur temps, soit dit en passant, aux Dumas père et fils qui, malgré leur succès, ont souffert de l’ostracisme en vigueur au XIXe siècle. Que signifient ces propos ? Et quels terribles échos littéraux cette réflexion donne-t-elle à ces lignes de James Baldwin ?

« Ce qu’il vous faut regarder, c’est ce qui se produit dans ce pays, et ce qui se produit, en fait, c’est que des frères ont assassiné leurs frères noirs en sachant que c’étaient leurs frères. Des Blancs ont lynché des Noirs qu’ils savaient être leurs fils. Des femmes blanches ont fait brûler des Noirs qu’elles savaient être leurs amants. »

Cette terminologie démentielle qui veut qu’une personne blanche soit noire en fonction de la couleur de ses ascendants, même lointains, ne cesse de nous stupéfier. Là où les lois de Nuremberg considéraient que la présence dans l’ascendance d’un seul parent ou grand-parent juif suffisait à établir le caractère non aryen de la personne considérée, la société esclavagiste américaine, elle, avait imposé le one drop rule, la règle d’une seule goutte de sang. Une arrière-grand-mère suffisait, et peu importait la couleur de peau. Contrairement à l’espace francophone où le terme de « métis » est apparu lorsqu’il s’est agi, à la fin du XVIIIe, d’inventer des catégories intermédiaires dans le système esclavagiste, l’espace américain ne considérait, et en réalité ne considère encore, aucune autre catégorie que le Blanc et le Noir.

Si à la sortie de Images de la vie, le public Africain-Américain n’a pas accepté que le personnage de Peola rejette sa mère, il a parfaitement admis, par contre, qu’elle ait souhaité passer la barrière pour vivre dans le monde des Blancs et avoir les mêmes chances que les autres. Franchir la ligne, ne pas rester dans « l’enfer », la partie réservée aux Noirs, sans aucune possibilité, non seulement de promotion sociale, mais même simplement, ainsi que le dit Baldwin, de repos.

La belle actrice aux yeux verts Fredi Washington, militante pour les droits des acteurs Africains-Américains, « Noire paraissant blanche », qui jouait le rôle de Peola adulte, a dit que les lignes de dialogue qui lui avaient le plus coûté étaient « Je veux être blanche ». Elle-même a d’ailleurs refusé « de se faire passer pour blanche » alors qu’elle aurait pu avoir une carrière à Hollywood si elle l’avait fait, c’est-à-dire si la case Noir n’avait pas été cochée sur ses papiers, à la ligne race, si elle avait passé sous silence sa filiation.

On se demande avec une stupéfaction mêlée d’effroi comment une société a pu produire un racisme tel que des studios hollywoodiens n’aient pu donner le rôle d’une femme blanche à une femme blanche sous le prétexte qu’elle était noire.

Adèle O’Longh