Le pari réussi de cette exposition est de démontrer qu’entrer dans le monde de références littéraires, poétiques et philosophiques de Francis Bacon apporte un éclairage supplémentaire sur son œuvre.
Car le travail de Francis Bacon est riche de sources multiples : ses lectures (Bataille, Proust, Nietzche, Eschyle…) des films (Eisenstein, Buñuel), des œuvres plastiques (Cimabue, Vélasquez, Picasso, Degas, Duchamp…) mais aussi son quotidien, ses rencontres (Michel Leiris, Muriel Belcher…), le chaos de son atelier.
Se placer devant un tableau de Francis Bacon est toujours un moment particulier. D’abord il ne se passe rien, peut-être du fait de la sidération. Il faut un peu de temps pour entrer dans son univers, pour atteindre un fragment, quelque chose à quoi s’accrocher et commencer à avancer très lentement vers le foisonnement d’interrogations que constituent ses œuvres. Il semble que chaque tableau soit un une énigme. Des tableaux comme de la philosophie, qui questionnent davantage qu’ils ne répondent.
Le dispositif de l’exposition présente des peintures sous verre, dans des cadres dorés clinquants et des espaces en forme de cubes, réservés à l’écoute de 6 extraits des lectures de Francis Bacon qui lui ont évoqué des images. Il y a dans l’œuvre de Francis Bacon un désordre très organisé, canalisé, issu d’un chaos dans lequel on a puisé pour mieux faire apparaître un labyrinthe complexe qui mêle intellect et sensibilité.
On ne peut qu’être frappé par le propos sur l’existence charnelle des êtres humains, sur la condition animale et sur les liens qui sont proposés avec les mythes fondateurs de la civilisation occidentale. Douleurs et questionnements, angoisses et instants de grâce fugaces se juxtaposent sur ces grandes toiles.
Si vous n’êtes pas familier du travail de Francis Bacon, vous pouvez commencer par regarder le film qui présente des extraits d’interview à la fin de l’exposition. Bacon y explique notamment que le peintre (à l’époque des films et des technologies avancées de l’image) doit réinventer le réalisme par le seul moyen de son imagination.
Ce que nous voyons c’est la langue du monde intérieur de Francis Bacon, celle qu’il a élaboré pour mettre au monde les images qui se forment dans son imaginaire. Et comme lorsque l’on écoute longuement une langue inconnue, certains sons finissent par devenir compréhensibles. On reconnait soudain la densité d’un dos d’homme, un extrait d’un tableau de Picasso, de Rembrandt, un aigle sur de la chair humaine vivante ou une référence au penseur de Rodin. Et si la construction des triptyques est narrative et demande de connaître à la fois la littérature et la vie de l’artiste pour être analysée, il faut simplement être présent, s’ouvrir à l’étrangeté et aux potentiels les plus gracieux et les plus vils de l’humanité, pour profiter de la puissance de cette peinture.
Alegría Tennessie
Exposition Bacon en toutes lettres, Centre Georges Pompidou, Paris. – Du 11 septembre 2019 au 20 janvier 202