L’animal imaginaire
de Valère Novarina

Sur la scène se dressent deux immenses mégalithes peints par Valère Novarina lui-même. D’autres, de taille plus modeste, sont  poussés par les comédiens puis déplacés ; ils vont  ponctuer  leurs  entrées  et  sorties  tout au long des différents tableaux.

Le Grand Communicateur, le Déséquilibriste, la Galoupe, l’Illogicien, le Commissaire Perpendiculaire, Raymond de la Matière et bien d’autres, animaux-hommes loufoques, surgissent face au public et  livrent  leur parole, au sens d’une livraison adressée  au ciel, telle cette scène d’anthologie de  2001, odyssée de l’espace  ou notre lointain ancêtre levait vers l’espace un os geant. Ça bouchonne, les mots désarticulés veulent tous être expulsés en même temps… « Nous recrachons fièrement la plupart de nos idées si elles nous étranglent », dit Valère Novarina. Il s’insurge contre  une conception, communicationnelle  du langage « Les mots ne sont pas une monnaie, on ne s’échange pas du sens comme de l’argent. Le langage est un corps qui s’offre dans l’espace. »*

Nous sommes aux origines du monde ; le  spectateur est submergé par ces vagues de mots désossés, ces énumérations surréalistes,  articulées à toute vitesse. Il retrouve la chair de la parole et comprend tout. Quel cirque ! On chante aussi avec entrain sur des partitions de Christian Pacoud, qui accompagne les comédiens  à  l’accordéon, citons le refrain de L’originelle  chanson déjantée de l’auteur « l’homme n’est pas bon, non, non, non l’homme n’est pas bon, oh que non… qu’on le saigne jusqu’à la mort, ah ça c’est un peu fort ».

L’auteur,  dans l’ensemble de ses textes, renoue avec l’expérience de l’écriture automatique chère à Antonin Artaud, proche du collage ; des cailloux de mots s’assemblent et s’entrechoquent. Pour soutenir un texte pareil, il faut des acteurs d’exception qui ne craignent pas le grotesque ; ils escaladent  ces montagnes de mots  en jubilant comme les enfants.

Vous n’oublierez pas de sitôt  Manuel le lièvre, le Grand Communicateur,  dans son monologue  d’anthologie sur une actualité désopilante « Il pleut sur Cluses, Montbéliard, Montluçon et Aurillac, sur leurs tarmacs…. l’association – lassitude d’être soi – ouvrira demain son cent trente huitième symposium sur la délation, la procrastination, la repentance, la résilience, l’acétie, le déni, le renoncement  …. »,  Dominique Parent, Raymond de la matière, adepte du langage en û,  et   René Turquois, le romancier,  dans sa  logorrhée  syntaxique interminable  « voyez dit Jean, soyez attentif ajouta Jacques !  Où s’arrêtera t’il demanda Pierre , oui répondit Marie, l’arrêterons nous reprit Josette  …. »,  tous sont dignes du grand Daniel Znyck, l’acteur prodigieux qui nous enchantait, en particulier  dans  L’opérette imaginaire  et L’espace furieux  du même Novarina.

Le public applaudit chaque numéro de ce  carnaval jubilatoire.

Dégustez Novarina et lisez sa belle  Lettre aux acteurs* dont voici un extrait : « Faut des acteurs d’intensité, pas des acteurs d’intention. Mettre son corps au travail….. Lecture profonde, toujours plus basse, plus proche du fond. Tuer, exténuer son corps premier pour trouver l’autre corps, autre respiration, autre économie – qui doit jouer…. »

Sylvie Boursier

Texte, mise en scène et peintures de  Valère Novarina

Création  au théâtre de la  colline, 75020 paris, du 20 septembre au 13 octobre 2019, tournée en 2020

Photo Sylvie Boursier

* Valère Novarina, mai 2019, propos recueillis par Adélaïde Pralon et Fanély Thirion

* lettre aux acteurs,  POL 1974