Bleuets et abricots
de Natasha Kanapé Fontaine

Les recueils de poèmes de Natasha Kanapé Fontaine, poétesse, écrivaine, traductrice et actrice innue (Inuit) de Pessamit, au Québec, se présentent comme des chants de réappropriation.

Nombre de peuples autochtones pensent que le corps des femmes est un microcosme de la terre, et c’est la première résonnance qui émane de ses poèmes dans Bleuets et abricots. Mais cette terre incendiée, pillée, ravagée nécessite d’être réincarnée pour renaître. Elle a besoin de la langue qui fut parlée par ses enfants, et que la jeune poétesse, qui l’a oubliée, se réapproprie en même temps qu’elle identifie son corps aux paysages. Ce corps-pays doit s’ébrouer de l’Histoire de destruction qui lui fut imposée pour se reconstituer. Dans une très belle langue incantatoire et mystique aux accents de révolte, Natasha Kanapé Fontaine trace comme une route oubliée, émaillée des mots d’une langue perdue, ce chemin qui va de la mémoire exhumée et des blessures ravivées à la fierté et l’honneur du combat dans lequel elle invite tous les opprimés, ses frères et sœurs, terre comprise.

Le recueil se décline en deux mouvements. Le premier comprend trois chants : La Marche déroule le territoire perdu et le ressuscite :

« …Une femme se lèvera
vêtue de ses habits de lichen
vêtue de ses traditions
vêtue de son tambour intérieur

Elle sera debout
devant les machines
mystère territorial
une brise
effleurera vos nuques
c’est du vent dans ma tête, direz-vous

J’abrogerai toute loi
au pays que les hommes s’inventent
vous apprendrez

Pays mien a un nom plus grand
que l’Amérique. »

La Chasse raconte l’anéantissement et les conversions forcées :

« …les camions marchent
grand ours de malheur
depuis les bois où l’on plante machineries
depuis des siècles et des siècles
orgies de roi
abandonnant derrière eux
paysage brisé
ossature brisée
mon trot caribou brisé… »

La Cueillette parle de guérison et de réveil de la mémoire :

« …une nuit un rêve
mon fils lui dirai-je
tu dois retrouver
la route

vers les pieds
de ta mère… »

Le deuxième mouvement comprend deux chants : La Réserve, qui associe l’enfermement et la révolte, la rage contre l’imbécillité meurtrière du monde du vainqueur, le souvenir des atrocités et la prédiction de la libération :

« …Nous nous soulèverons
nous brûlerons les écoles
nos enfants devenus aïeux
nos aïeux devenus enfants

Je concocterai entre mes cuisses
la formule de l’oralité
rédemption
notre île

Nous apprendrons le nom de la terre… »

« …La ville persiste en moi
assise sur l’avenue des charognards
je guette l’allégresse
la haine qui me pousse à hurler

Je guette le nom des ruelles
de la grande mer qui laisse passer les pauvres
à l’abri des vautours

La guerre est en moi comme partout. »

Et La Migration, qui passant par la mémoire de la douleur et des massacres, va rechercher dans l’Histoire occultée le chemin interrompu à retrouver et reprendre :

« …Je reprendrai possession de mes droits
je reprendrai possession de mon souffle
je reprendrai possession de mes routes d’eau

Je me nommerai Mississipi
Assiniboine
Azueï
Oaxaca
j’aurai un nom de reine
ma fleur d’origine… »

Lonnie

Bleuets et abricots de Natasha Kanapé Fontaine, éditions Mémoire d’encrier, 2016.