Conte dadaïste foutraque, Bonjour l’asile est un OVNI, l’utopie d’une contre-culture dans un tiers lieu, où une communauté invente un vivre ensemble alternatif. S’y croisent des personnes très différentes, une mère de famille au bord de la crise de nerfs, une citadine dubitative sur les lombricomposts et les toilettes sèches et un promoteur spécialisé en hôtellerie de luxe éco-consciente qui veut acheter le lieu. L’ensemble paraît disparate de prime abord ; on met un certain temps pour percevoir les liens entre les différents personnages et réaliser que le film forme bien un tout. Son montage ressemble aux cadavres exquis chers aux surréalistes. Le séjour psychédélique des trois résidents, drôlement dialogué, parfois caricatural, entre anecdotes et découverte de la tequila sunrise (ou autre breuvage magique), se révélera une expérience décisive pour eux et la source d’un tournant subjectif vers un plus grand souci de soi.
Fable écologique, politique et féministe, le scénario n’est pas exempt de lourdeurs dans l’argumentation et la caractérisation des attributs sociaux (on est une ordure de capitaliste ou un sage néo rural, homme ou femme, citadin ou écolo campagnard) mais réserve des moments superbes à la Buñuel. Ainsi l’apparition du double de la ménagère, une sorte d’avatar burlesque complètement barré. Ou encore la très belle séquence du cercle de parole qui voit des hommes à la masculinité virile réapprendre à communiquer hors des rôles sociaux genrés. Aujourd’hui nous sommes saisis dans une hypnose sans fin, absorbés par l’écran de nos smartphones, aveugles à notre environnement, indifférents à ce qui se passe à notre entour. Ce qui était discourtois il y a quelques années, parler à quelqu’un sans le regarder ou avec une attention portée sur autre chose, est devenu banal. Le film montre un homme – Amaury, joué par Nadir Legrand, excellent — qui lâche : son visage, ses bras, ses épaules, tout s’affaisse, le roi est nu, moment cocasse et délicat, d’une grande douceur.
Judith Davis a le culot monstre de piocher allégrement chez Jean Rouch, ce poète qui n’aimait pas les démonstrations trop linéaires et raffolait des histoires loufoques, défiant la logique et le bon sens. Hölderlin, Éluard, Mallarmé, ne sont pas loin lors des séances de catharsis autour de l’arbre magique Grosse Mama. L’homme serpillière qui se promène en habit d’empereur fait de guenilles cousues ressemble à un prince Dogon, si cher au cœur de l’anthropologue. On s’approche de ce château de la Belle au bois dormant avec ces silhouettes bizarres figées dans la lumière rasante d’une fin d’après-midi d’été avec le même étonnement qu’on découvrait La Borde dans La Moindre des choses de Nicolas Philibert, autre lieu d’utopie concrète à la lisière de la Sologne. Ça se termine en queue de poisson dans une sorte de transe vaudoue, comme si la cinéaste avait du mal à conclure sa fresque baroque.
Le précédent film de Judith Davis avait pour titre : Tout ce qu’il me reste de la révolution. Alors, que reste t’il de la révolution ? La puissance du jeu, du travestissement, une cosmogonie fantasque et une troupe (la compagnie L’Avantage du doute) plus complice que jamais. Allez-y !
Sylvie Boursier
Photo @David Delcloque
Sortie nationale : 26 février 2025
Encore plus partout, tout le temps, spectacle de la compagnie L’Avantage du doute du 3 au 14 juin 2025 à la Maison des Métallos à Paris dans une mise en scène de Judith Davis