Photo © Pere Farré

David sur ordonnance
de Pascale Ferroul

Tout le roman est un hommage étonnant à David Bowie.

Une psychiatre quadragénaire, Marianne, dont la vie semble partir gaiement à vau-l’eau, travaille en hôpital psychiatrique. « Certains individus que l’existence a rendus fous ont décidé de l’être plus encore : ils veulent soigner les fous. » Folle, il faut qu’elle le soit, pour inaugurer de traiter ses patients par la Bowiethérapie. Elle a un fils de six ans, Victor, vestige d’une histoire d’amour qui a fini en naufrage. Toute sa vie ressemble d’ailleurs à un aimable naufrage. « Quand on renonce à une carrière, c’est souvent pour privilégier sa vie privée. Pas dans mon cas. J’ai rayé l’amour de mes projets. L’amour est un sentiment ridicule qui coiffe au poteau tous les autres sentiments ridicules. Parfois, je sens ses effluves. Alors je réfléchis et je cesse de respirer. »

Marianne a six patients : un schizophrène, deux maniaco-dépressifs, une anorexique, un paranoïaque et une mythomane. Elle envisage sa vie et son boulot avec une certaine désinvolture non dénuée d’autodérision.
« La deuxième fois que Martin est venu à mon bureau, installé à l’entresol, il m’a dit :
-Docteur, ne vous retournez pas, je vois des rats derrière vous.
Je lui ai répondu patiemment :
-Mais oui, mais oui…
Je me suis quand même retournée machinalement. J’ai eu le temps de voir deux rats filer. Dans ce cas on se dit : Suis-je entrée dans son monde ? »…

Marianne organise des sortes de forums entre ses patients pour les amener à s’ouvrir les uns aux autres et à se confronter à la réalité. Hélas, ce groupe trop hétérogène semble surtout s’éparpiller prodigieusement en délires qui non seulement se superposent, mais se catalysent. « Depuis un mois, certains de mes patients semblaient avoir décidé de progresser dans leur exploration de la folie. »

En désespoir de cause et en échec thérapeutique, elle décide alors de les soumettre à « … une expérience forte, si possible vécue collectivement, pour provoquer chez ces patients un déclic salvateur » : les emmener à un concert de David Bowie, dont elle est férue et qui justement se produit à Nîmes, non loin de l’endroit où elle travaille. L’idée globale est de créer un lien fédérateur entre eux (l’expérience commune du concert) avant d’entamer une thérapie de groupe digne de ce nom.
Mais on s’aperçoit vite que c’est Marianne qui élude des pans entiers de la réalité, particulièrement en ce qui concerne les liens finalement noués à son insu entre ses patients. Si bien que non seulement un meurtre va être commis sous sa responsabilité, mais que tout ce qui la concerne va lui échapper.

Le ton léger du roman, plein d’ironie, de dérision et d’humour, n’empêche pas une trame implacable d’étrangler la trop légère Marianne. C’est elle qui finit par apparaître comme quelqu’un de dramatiquement dépassé, dispersé et compartimenté, insuffisant, inconscient. Et le ton léger, sur la fin, sans perdre son humour, devient grinçant. « La vie est ce qu’il y a de pire après la mort. »

Le roman est construit sous forme de monologues : Marianne, plusieurs de ses patients, de nouveau Marianne, son fils Victor, et enfin, en rappels (comme si tout le livre était un concert de Bowie) le jeune assassiné, qui éclaire son histoire sur un jour inattendu, en une ultime pirouette.

Lonnie

Pascale Ferroul, David sur ordonnance, Babel noir, 2006

Photo © Pere Farré