La conversion
de James Baldwin

James Baldwin dédie son premier roman, autobiographique, écrit à l’âge de 28 ans, à son père et sa mère, ajoutant la citation « Ceux qui espèrent en Iahvé verront leurs forces se renouveler, ils s’élèveront avec des ailes d’aigle ; ils courront sans ressentir de lassitude, ils chemineront sans défaillir. » Et de fait, c’est bien ce que lui-même a fait toute sa vie.

« Ses souvenirs les plus lointains – ses seuls souvenirs en un sens – tournaient autour de l’affolement et de l’animation des dimanches matins. (…) Sur l’avenue, les pécheurs les regardaient. (…) Leur église s’appelait le « Temple du baptême par le feu » (…) John avait été élevé dans l’idée que c’était la plus sainte et la meilleure. Son père en était le premier diacre. »

John a quatorze ans. On lui a toujours dit que plus tard, il serait prédicateur comme son père. Il l’a cru. Jusqu’à ce qu’il comprenne bien ce que cela voulait réellement dire. La vie de privation, d’austérité, le carcan que cela impliquait. Pas de sexe avant le mariage, puis femme, enfants, privations, vie sainte, hétérosexualité, voilà « ce qu’exigeait le chemin de la croix ». Or, lorsque John se réveille en ce matin de son quatorzième anniversaire, il sait qu’il a commis un effroyable péché. Il s’est masturbé dans les toilettes en pensant aux garçons plus vieux que lui.

Son père, Gabriel, mène sa famille à la baguette. Il bat John aussi pour son intelligence, sa « scélératesse ». Le jeune homme hait profondément ce père maltraitant qui ne l’aime pas, se pose en « ambassadeur du Seigneur » et ne lui laisse aucun répit. Il étouffe dans cette vie assignée, celle d’une poignée de « saints » de Harlem rassemblés autour de leur petite église. Prêches, prières, gospels se succèdent avec toujours la menace du Dieu vengeur personnalisé par le père violent. De Gabriel qui vient du Sud, il est beaucoup question dans le roman. De son histoire, celle de sa première femme, puis de la mère de John, dans un ballet de souvenirs mêlant la vie des uns et des autres pour former une peinture de la condition des noirs aux États-Unis jusqu’aux années 1950.

« La noirceur du péché de John ressemblait (…) aux affiches sur les murs qui affirmaient que le salaire du péché était la mort. La noirceur de son péché résidait dans l’entêtement glacé avec lequel il résistait à la puissance de Dieu (…) Car il avait pris sa décision. Il ne ferait pas comme son père ni comme les pères de son père. Il aurait une autre vie ».

C’est un très beau livre que celui-ci, le livre d’une quête, d’un désespoir, d’un désir ardent à la fois de ne pas rencontrer Dieu et de se fondre en lui, d’être sauvé. C’est l’histoire d’une résistance et d’un abandon, l’histoire de ceux qui n’avaient que leur église pour les laver de la boue de l’oppression.

Kits Hilaire

La conversion de James Baldwin, 1953, Rivages poche 2019

Illustration © Marie-Rose Lortet, « La tricologie monacale », 2006, laines variées, détail.