La saveur des derniers mètres
de Felwine Sarr

L’écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr, L’aimé de tous, en langue sérère, est un voyageur singulier. Je voyage, dit-il, « pour goûter le monde, le connaître, élargir mes géographies, visiter mes semblables. Faire l’expérience d’une distribution aléatoire des événements et des expériences, rencontrer l’inattendu ». Les visages et les paysages l’emmènent « vers des ailleurs qui le rendent toujours à lui-même », au point d’ancrage.

Il n’y a pas de chronologie dans ce carnet de route mais une succession d’aéroports, de villes, de personnalités qui s’enchevêtrent avec harmonie. L’horizon devient plus vaste. Dans ses pérégrinations, Felwine Sarr accueille les mouvements du monde. « Je fais l’expérience des villes par leur intensité et leurs condensations, je m’exerce à les sentir par leurs points de vibration : les passants d’une rue, leur cadence rythmique, l’allure des policiers, le verbe haut ou mezzo ».

L’énergie, le rythme de la musique traversent le texte. « Écouter de la musique est une cérémonie pour moi ». La magie opère, les corps s’ajustent au rythme chaloupé de l’orchestre Bembeya Jazz, à la grâce de la kora du chanteur Ablaye Cissoko, aux accords de jazz d’Habib Faye. Autant de musiques, autant de lieux de rencontres. « Recevoir les vibrations dans le corps et l’âme … La musique n’est pas que sur scène, elle est sur les visages radieux, dans les corps féminins qui se déplacent, dans les éclats de rire, aux abords des décolletés soigneusement soulignés ».

La saveur des derniers mètres est le cheminement d’un homme de lettres rompu à l’introspection. Le 10 juillet 2013, Felwine Sarr pleure « son maître sur la voie shotokan ». Avec le maître, il a appris à exercer son corps et son esprit. Il se remémore les leçons de sagesse, « Sagesse longtemps répétée, peu vécue » mais qui, dès lors, prend sens. Il nous confie qu’au hasard d’un embouteillage, dans un taxi, la sakina, la paix profonde, s’est invitée par effraction. « Elle est là ».

Dernière halte dans l’île de Niodior où L’aimé de tous est né. « L’atmosphère de l’île est paisible » mais ne cache pas l’inquiétude de la réalité du dedans. « Les jeunes veulent tous émigrer en Espagne. Depuis quelques années, c’est la saignée. » Dernière prière au père, dans le cimetière, avant de partir enseigner aux Etats-Unis. La petite porte bleue qui a ouvert le livre se referme. Le voyage continue.

Elisabeth Dong

La saveur des derniers mètres, Felwine Sarr, Philippe Rey, 2021

Photo © Pere Farré