Quand l’existence même est en jeu, tout vacille et se désagrège. Les repères et les certitudes s’écroulent. Elsa a un virus au cœur. Elle doit suivre une quadrithérapie. Son traitement aux effets secondaires destructeurs la mène au bord de la folie. Pour tenir le coup, elle s’arrime à une retraite bouddhiste et échange des mails quasi quotidiens avec son amie Gaëlle, écrivaine-voyageuse, embarquée sur un voilier vers des destinations lointaines mais bien décidée à la soutenir du mieux qu’elle peut par ses courriels.
On assiste, inquiets, à la longue et terrible descente infernale d’Elsa et à sa remontée à l’air libre. Ce voyage en apnée nous déstabilise. On retient sa respiration. On voudrait aider Elsa à guérir, être celle qui lui donne des cours de qi gong comme Angelo, qui lui apporte à manger comme Olaya, qui se promène lentement avec elle comme Roc. On voudrait la faire rire pour que reculent l’angoisse et la terreur.
Tandis qu’Elsa plonge dans les ténèbres, Gaëlle respire à pleins poumons sur la mer. Elle est la respiration d’Elsa, ses battements de cœur réguliers, son cap salvateur.
Adèle O’ Long nous initie subtilement aux bienfaits de la pratique bouddhiste. Pas de didactisme. Pas de clichés ni de vérité assénée. Avec une simplicité déconcertante, elle nous entraîne dans un roman métaphysique riche en réflexions sur le sens de la vie et de la mort. Elle fouille les sentiments de l’espèce humaine, ses envies de massacre, sans jamais désespérer de l’humanité. Tandis que le traitement d’Elsa n’en finit pas de s’éterniser, de la disloquer, elle nous invite à nous méfier de nos pulsions dévastatrices et nous donne l’antidote : la compassion, sentiment généré par une pratique régulière de la méditation. Elsa l’a bien compris mais les enseignements du bouddhisme sont difficiles à mettre en pratique. Elle côtoie la folie : « Être malade c’est ne plus avoir aucun pouvoir, ( … ) soudain on ne décide plus rien ». Mais est-ce vraiment certain ? Et si on avait envers et contre tout toujours le choix: celui de ne pas déchoir, de relever encore la tête, de se réfugier en Bouddha ? Sartre écrivait dans L’existentialisme est un humanisme : « Qu’est ce que je fais maintenant avec ce qu’on a fait de moi ? ». Malgré les déterminismes sociaux, nous possédons une marge de manœuvre, un degré de liberté, un libre-arbitre.
Des petits contes philosophiques, distillés par Gaëlle comme autant de potions curatives, irriguent l’histoire principale et se révèlent propices à un questionnement sur nos choix existentiels.
La route est longue pour Elsa. Comment résister à la fatigue, à la folie qui guette, au corps qui se dérobe ? Dans la solitude de son traitement, elle trouve la force de vouloir le bonheur pour tous. Compassion universelle si peu partagée… En dépit de réactions émotionnelles intenses, contre lesquelles elle lutte de pied ferme grâce aux méditations, elle maîtrise peu à peu « les chiens d’attaque de l’angoisse ». « Méditer. C’est tout ce qu’il y a à faire. Lâcher et pratiquer. Laisser aller, laisser venir, au milieu de la débandade du corps, des émotions et de l’esprit.»
Gaëlle, de son côté, nous éclabousse de sa générosité et de son humanisme. Elle nous confronte à nos peurs, à nos limites, mais aussi à notre capacité à reprendre la main sur le cours de nos vies… On partage avec ces deux personnages des fragments de vie simples et sans malice, juste là, pour se sentir tranquille, exister. Et si on suit Elsa dans la répétition quotidienne de ses activités: qi gong, puis méditation, puis petit-déjeuner, sans jamais se lasser, c’est qu’il s’agit là de plaisirs juste à notre mesure, emplis d’une possible sérénité.
Ce roman épistolaire est une grande respiration intérieure. Pas d’effets de manche. Tout y est à hauteur humaine. Limpide et âpre comme l’est souvent la vie. Les mots nous effleurent comme une caresse du soleil, nous bousculent dans nos croyances, résonnent comme un mantra. Certains passages sont d’une beauté fulgurante. Dans La voyageuse immobile, livre de consolation, Adèle O’Long nous offre une superbe leçon de vie.
Francine Klajnberg
Adèle O’Longh, La voyageuse immobile, Après la Lune 2019
Photo © Pere Farré