Foyer, doux foyer
Ah, la douceur du retour au bercail, on sait bien ce que c’est, on comprend la jeune femme qui hésite sur le perron devant la maison, elle hésite et pourtant elle était bien décidée. D’ailleurs ses parents l’ont vue, ils la guettent, faut dire que ça fait dix ans qu’elle est partie. Ils doivent être contents de la revoir, elle doit être contente de rentrer. Mais elle est inquiète.
« Elle ne sait rien de ce qui l’attend. Et c’est pour ça qu’elle a peur. Un peu. Elle rentre. Au bercail. À la maison. Au royaume de son enfance. Avec les parents qui ont vécu des cycles sans elle. Mais ça va aller. Bien sûr ça va aller. Les parents normalement ça va. »
En fait, on comprend peu à peu qu’on n’est pas dans cette histoire-là, pas dans une histoire de retour de la fille prodigue. On entre avec elle, on retrouve la chambre d’ado qu’elle a laissée, on retrouve les parents, un milieu populaire avec pas beaucoup d’argent, mais quelques amis, des traditions, des habitudes, comme celle du fauteuil devant la télévision réservée au père, les copains du père qui sont de sacrés rigolos, elle se souvient bien de tout, et ça nous fait froid dans le dos.
Le trio se reconstitue donc, du moins il essaye, mais il repart à l’ancienne et l’ambiance est oppressante.
« C’est Caroline qui se charge de les réveiller.
– Qu’est-ce que vous faites là ?
Presque un cri. La fille et Père sursautent. Chacun de son côté. Effrayés par l’intrusion de Caroline pourtant si douce. Les paupières s’ouvrent. Évacuation des ombres.
De nouveau le triangle se forme.
Père dit : on parlait. Il ment. Ils ne parlaient pas.
La fille dit : je vais faire du café.
Caroline dit : laisse, j’y vais.
La fille voulait s’occuper du café. Elle n’a pas pu. Elle reste sans rien à faire. Elle pense au mensonge de Père. Elle pense à tous les mensonges qui sont du poison. »
Le huis clos se reconstitue par morceaux, magnifié par l’écriture de Natyot, concise jusqu’à l’épure, brutale dans ce qu’elle raconte et dans les sentiments qu’elle dévoile. Car il s’est passé autre chose que l’ennui, que le gris des journées, autre chose que les dimanches devant la télé et la bouffe pour colmater les manques. Tout ce non-dit ne pouvait être mieux exprimé que par ce style tranchant, envoûtant parfois, cette description sans concession et en même temps toute en allusion de la difficulté de vivre, de la difficulté d’être des parents, sans parler de celle d’être une fille dans un monde dominé par les hommes, oh pas tous des salopards, loin de là, mais quelques-uns tout de même. Parfois toute cette pesanteur est vraiment lourde et la folie n’est pas loin de contaminer tout le monde. Et on se rappelle que oui, parfois, nous-même on a bien pensé à, on a espéré que (le dispositif anti divulgachis ne me permet pas d’en dire plus), pour que toute cette monotonie disparaisse, que toute cette colle qui englue les êtres s’en aille, pour qu’on parle enfin vraiment, ou alors pour qu’il se passe quelque chose de fort.
« Rien n’est plus difficile que de se rendre compte de la vacuité du langage. De l’inutilité du langage. Les mots, il ne suffit pas de les avoir, de les connaître, de les utiliser. Ils sont rares les mots qui parlent. Ils sont absents du bercail. »
Le Bercail est un très beau roman, beau par son écriture et par la finesse de sa critique. C’est aussi un roman très noir, lourd, qui raconte la violence des petits riens qui constituent une vie ordinaire. Un roman à la fois sans pitié mais aussi tellement humain, tellement juste, un roman à lire, bien sûr.
François Muratet
Le Bercail, de Natyot, Editions La Contre Allée, 2024
Illustration © Adèle O’Longh