« Il y a de ces jours sur l’île où le vent semble furieux. Il hurle sa rage pendant des heures. Fouette les corps. Remue les eaux profondes. Même les bateaux doivent prendre les vagues de côté. Et pourtant, le lendemain, rien n’y paraît. Le fleuve se calme pendant la nuit. Le soleil naît de nouveau dans un ciel pur. Ses rayons roses et jaunes font frémir l’eau doucement, comme le contact d’un doigt. »
Diane grandit au Québec, sur une île de l’archipel de L’Isle-aux-Grues. Elle y vit une enfance libre et sauvage, entre le fleuve, la forêt et la mer, jusqu’à ce qu’elle la quitte brutalement pour aller s’installer dans une grande ville.
« Elle se réveille toujours à la même heure se douche s’habille se prépare déjeune s’en va travailler sept jours sur sept emprunte le même chemin ne parle à personne sauf si c’est pour exécuter une tâche sept jours sur sept ne possède aucune relation en dehors du travail (…) elle aspire à une vie exempte de toute imperfection elle rêve d’un jour où le temps serait intarissable mais le corps reste indomptable toujours. »
Quinze ans plus tard, « sur le point de craquer de fond en comble d’éparpiller ses morceaux dans les draps » , Diane se tourne vers la modification génétique. Devenir plus forte, vive et rapide, dormir moins tout en multipliant ses performances, c’est la réponse qu’elle a trouvé, du fond de son anxiété chronique et de ses tentatives de contrôle désespérées, aux injonctions productivistes.
Mais on ne mélange pas si facilement son ADN avec celle du lièvre d’Amérique. L’opération a des effets secondaires et son comportement commence à changer dans un sens inattendu.
« Diane s’agenouille et prend une poignée de terre dans sa main, la renifle. Elle l’étend sur ses avant-bras, ses joues, son cou, pour effacer son odeur aseptisée. Elle s’enfonce tranquillement dans la forêt à la recherche d’un coin où se mettre à l’abri des regards. »
Ce n’est qu’arrivée pratiquement au bout de son manuscrit que la Québécoise Mireille Gagné a pris connaissance du mythe fondateur algonquien de Nanabozho, « envoyé sous la forme d’un lièvre par Manitou pour enseigner la sagesse aux êtres humains », dans lequel elle a retrouvé nombre de symboles clef de son texte. Elle a inscrit alors Le lièvre d’Amérique dans un récit plus large, parce que, dit-elle, « le livre était déjà écrit et qu’il était le legs de quelque chose de plus grand que moi que je devais transmettre. »
Bien lui en a pris. Ce premier roman est une injonction à s’affranchir de la servitude, à tout lâcher pour partir courir les bois, se laisser tomber sur des sols de feuilles mortes ou se frotter les joues contre l’écorce des arbres et la mousse humide. Transmission réussie.
Kits Hilaire
Le lièvre d’Amérique de Mireille Gagné, La Peuplade, Chicoutimi, 2020
Photo Pictogramme de Nanabozho à Mazinaw Rock, Bon Echo Provincial Park, Ontario