Les dessins de
Wura-Natasha Ogunji
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Avertissement : Les dessins qui accompagnent ce texte ont été réalisés par l’auteure de l’article qui est également artiste plasticienne. Ils sont à considérer comme un commentaire sur le travail de Wura-Natasha Ogunji au même titre que les mots. Afin que le lecteur puisse se rendre compte par lui-même du travail de Wura-Natasha Ogunji, des liens internet sont proposés qui renvoient aux œuvres originales.

Du papier calque, des fils de couleur, du crayon et de l’encre. C’est avec ces simples ingrédients que Wura-Natasha Ogunji dessine.

Dessins et photos Alegría Tennessie

 

Voir « The garden » de Wura-Natasha Ogunji: http://goldeniron.blogspot.com/

Ses tracés en 3 dimensions entrent et sortent du papier sur lequel ils s’enroulent, s’organisent ou s’accumulent, forment des plots, se tendent dans leur parcours ou dégoulinent comme de la peinture. Si Ogunji dit ne pas ressentir la délicatesse quand elle réalise ses œuvres elle admet qu’une fois le dessin terminé il peut y avoir quelque chose de cet ordre qui se dégage de son travail. Pourtant, le fait d’insérer des fils dans du papier, par segments et de les nouer nécessite un ressenti subtil et de bien maîtriser ses gestes. Un fil s’échappe facilement des doigts ou de la position recherchée. De plus le fait de travailler par addition progressive et lente de matière légère produit un effet évidemment différent d’un dessin ou d’une peinture ou encore d’un modelage en terre qui seraient réalisés avec des gestes continus. Les fils que l’artiste utilise sont des fils de couture et les mèches formées ressemblent à ce qui se produit quand on rassemble des bobines. Les fils s’emmêlent de façon arbitraire et alors, dans la vie courante on ne peut plus les utiliser. Mais ici, sur les dessins de Ogunji les fils entremêlés ou accumulés, tournés et assemblés prennent du sens et s’inscrivent dans la durée d’une œuvre matérielle.

Dessin et photo Alegría Tennessie

Sous le souffle du passage des visiteurs dans l’exposition, les grands dessins sur papier calque ondulent « dans une sorte de mouvement lent et mesuré qui est comme une respiration[1] » :  « Le papier comme un corps »a quelque chose d’intime et de charnel. Dimension qui se retrouve dans les performances de l’artiste. Mais si les performances sont tournées vers le signifiant social des corps, féminins en particulier et de l’empreinte qu’y laissent les modes de vie, les dessins sont portés par une liberté d’expression différente. Le papier calque par son aspect et sa texture est proche du parchemin. De ce point de vue le travail du papier tel une peau, piqué, traversé, trituré et finalement agrémenté de fils de couleur évoque ce que les corps peuvent endurer, que ce soit par souci d’embellissement, de rituels initiatiques, piercing, tatouages, mais aussi de réparations, lorsque l’on traverse une ampoule avec un fil ou que l’on suture une plaie.

Dessin et photo Alegría Tennessie

Voir « The proof, an undersea volcano, attraction, extraction, distraction » de Wura-Natasha Ogunji: https://wuraogunji.com/artwork/4419996.html

Le dessin The proof, an undersea volcano, attraction, extraction, distraction, présenté dans le cadre de la récente exposition Prince·sse·s des villes au Palais de Tokyo à Paris, est à la limite de l’abstraction. Des corps couchés s’emmêlent pour évoquer «… les différentes épaisseurs qui constituent l’amour et le malheur mais aussi la beauté[2]».

Il y a donc ces corps emmêlés, stratifiés et puis dans ce qui semble être le prolongement de l’un d’eux, des mains, et des éléments de visage, bouches, yeux et oreilles multipliés. Les amas de fils qui viennent ponctuer la composition évoquent d’une part les impacts de coups de fusils et le sang qui coule, mais aussi les tirs de Nicki de Saint Phalle. Deux femmes, qui ont peut-être davantage en commun que le fait d’interroger par leur pratique artistique, la place des femmes dans la société.

Les dessins de Wura-Natasha Ogunji sont légers du fait des matériaux qui les constituent mais aussi par la grâce des vides ménagés sur les supports. De plus le papier, le fil et les encres ou le crayon sont d’un aspect velouté, mats ou satinés. Leurs textures sont tendres et la matérialité de l’œuvre achevée particulièrement vulnérable. Par opposition les sujets présentés sont profonds et organiques. Ils décrivent un monde proche d’une nature physiologique peuplée d’humains, d’animaux et de plantes (Blue Generators, 2014) qui semblent porter dans leurs chairs l’injustice et le bagage historique qu’elle implique. De cette rencontre entre la profondeur et la surface, entre le dur et le mou, entre le violent et le tendre naît un discours posé, réfléchi, percutant et mystérieux.

Site et blog à propos de l’artiste :https://wuraogunji.com/news.html , https://goldeniron.blogspot.com/

Exposition à venir :  Stellenbosch triennale (Afrique du Sud) du 11 février au 30 avril 2020


[1] dialogue entre Ruby Onyinyechi Amanze et Wura-Natasha Ogunji, (https://theoffingmag.com/enumerate/paper-as-body/

[2] Cartel, exposition Prince·sse·s des villes qui a eu lieu du 21/06 au 08/09/2019 au Palais de Tokyo, Paris