« Tu veux aller en Chine ? Monsieur Lin, dont je connaissais tout juste le nom à ce moment-là, me regardait, la casquette posée sur le côté, presque à l’apache, sa main appuyée sur une canne à tête de dragon. Il souriait et ses yeux se bridaient davantage derrière ses lunettes […] Tu veux aller en Chine ? Je ne disais rien. Je continuais à sourire, moi aussi, en regardant sa canne. J’étais décontenancée […] D’accord, j’y vais ».
Monsieur Lin est un homme espiègle. Il enseigne les arts martiaux mais il peut tout aussi bien pratiquer l’imposition des mains ou réhabiliter les maisons hantées. Il vit à Arrucas, dans les Canaries où il se sent bien. Celle qui est devenue son élève et qui s’apprête à découvrir la Chine est une fille aux cheveux roux dont les yeux légèrement étirés pourraient laisser croire à une parenté éloignée.
Leur pérégrination vers Les Montagnes dans les Nuages commence dans la touffeur de Pékin. La voyageuse à la chevelure de feu et Monsieur Lin n’y passent pas inaperçus. Occupés à jouir du spectacle de la rue, ils en oublient les regards amusés. Le dédale des hutong où résonne la voix des petits métiers, les tenues bigarrées, les cheveux de toutes les couleurs, les teints délicats, les musiciens dans les parcs, tout est enchantement. Enchantement aussi lorsque le voile gris de la ville minière de Datong disparaît devant la beauté des bouddhas géants.
Au fil des jours, le voyage vers les Montagnes dévoile sa géographie et son humanité. Il apparaît aussi comme un puissant révélateur du travail énergétique. Apprendre à « Laisser toute distance et toute peur au vestiaire ». Monsieur Lin encourage et rassure. La journée commence invariablement par une séance de qigong. Parfois, la simplicité, la gaité, les « rires juvéniles », partagés entre deux cigarettes, font oublier « l’obsessionnelle hygiène de vie professée en Occident […] je suis heureuse d’être ici. Je suis à l’aise, calme, et j’ai parfois la sensation, fugace, d’être rentrée chez moi ».
Au cœur des Montagnes dans les Nuages, la magie opère. « Voir le jour se lever devant ces moines aux mouvements de brume est l’une des plus belles choses qui me soient jamais arrivées ». A peine installée, notre voyageuse met cap au sud, en solitaire. De nouveaux visages l’attendent. S’attarder un peu. Oui, mais les signes qui ne mentent pas lui intiment de rebrousser chemin. La Montagne s’impatiente. La rencontre avec Lu Long, le Dragon vert, se rapproche. Lu Long, le semblable, l’ « ami de l’ici et maintenant » …
Le récit littéraire d’Adèle O’Longh nous aide à repenser notre vision du monde. Libérée des codes occidentaux, la narratrice s’abandonne au spectacle de la nature et des êtres qu’elle rencontre, qui la ramènent doucement à elle-même, à la Montagne bleue.
… Mais qui a dit qu’il fallait traverser les mers pour résider en ce lieu ?
Elisabeth Dong
Les Montagnes dans les Nuages – Adèle O’Longh, Hoëbeke, 2008