Il court, il court, le furet
Il y a souvent un paradoxe, dans les romans de Laurence Biberfeld, c’est qu’ils décrivent la misère, la galère, les soucis qui s’accumulent, la débrouille, et non seulement ce n’est jamais déprimant ni pitoyable (parfois, un peu, quand même), mais c’est même réjouissant, ça remonte le moral. C’est parce que les gens qu’elle décrit sont tellement vivants, on les voit, on les connaît, on vit et souffre avec eux, ils témoignent si bien de la résilience de la nature humaine, de la solidarité et de l’empathie que les humains les plus démunis éprouvent les uns pour les autres. Ce qui n’empêche qu’on rencontre tout de même une belle brochette de salopards, mais sans que cela soit manichéen : les salauds auraient pu être différents si la vie ne les avait pas tabassés. Sous la plume de Laurence Biberfeld, ce monde déchu est magnifique, héroïque, ses valeurs forcent le respect, la dureté du mode de vie est tempérée par la douceur des sentiments.
Dans ce roman polyphonique, il est question de quatre personnages : Luiza, 27 ans, réfugiée Cap-verdienne à Paris, sans papiers, son fils Marco, 12 ans, sujet à des crises d’épilepsie, Zazou, furète hyperactive quand elle ne dort pas, armée d’un puissant canon à boules puantes dont elle n’hésite pas à se servir quand elle est contrariée. Le quatrième personnage est une assistante sociale qui ne comprend pas grand-chose, il faut dire à sa décharge qu’elle a elle-même son propre lot de problèmes, et puis à force de se colleter au réel elle devient étonnamment lucide.
Ce court roman raconte une fuite sur la ligne 13 du métro parisien, de la banlieue sud à la banlieue nord, une trajectoire de repli malencontreusement interceptée par… (je vous laisse découvrir par qui). Si c’était du cinéma, on pourrait parler de metro movie, avec une tension qui se fait de plus en plus forte à mesure qu’on traverse les beaux quartiers et que le terminus des quartiers nord se rapproche. On espère et on prie en tournant les pages de plus en plus nerveusement.
Tout cela est très réussi, mais l’intérêt est encore ailleurs à mon avis. Il est dans l’écriture remarquablement rageuse de Laurence Biberfeld, dans la sensibilité dont elle fait preuve pour faire parler et bouger ses personnages, dans la surprenante inventivité de sa langue, les associations de mots improbables, les images fulgurantes, tellement évocatrices, tellement poétiques, et puis il y a ce mélange d’argot et de cap-verdien, cette façon de recycler les parlers populaires que je trouve vraiment fantastique.
Malencontre est un roman à lire, évidemment.
François Muratet
Malencontre de Laurence Biberfeld, Editions In8, septembre 2022
Illustration: Malencontre © Gina Cubeles 2022