Vous mangez encore de la viande?
Essayez Laurence Biberfeld!

Vous en êtes encore aux steak-frites, au poulet du dimanche, au cassoulet-saucisse ou au sandwich merguez? Il est plus que temps de vous procurer Ce que chante le rouge gorge, livre salutaire de Laurence Biberfeld, qui donne la parole aux truies, chien, chats, souris et autres fouines ainsi que, comme son nom l’indique, au rouge-gorge.

Sous un titre inoffensif, se cache un implacable roman pamphlétaire qui s’en prend à l’élevage industriel et montre comment la pratique de la rentabilité à tout prix corrompt aussi, et forcément, les humains.

Dénier son statut d’être sentant à un animal est la base même de l’élevage industriel, à mille lieues du rapport qu’entretenaient les paysans avec les animaux de la ferme. Pour la plupart en tout cas ; il y a toujours eu la figure de celui que les autres appelaient un tordu. Celui qui n’était pas droit, qui frappait ses bêtes, le malade, ou plus généralement le salaud, comme celui qui bat son chien. Et dans l’idée générale, il n’y avait pas loin de frapper son chien à cogner sa femme ou taper femme et enfants. Laisser son chien dormir dehors, oui, le rouer de coups, non. Ça ne fait pas si longtemps. Sophie, jeune activiste solitaire de Ce que chante le rouge gorge, employée dans un élevage porcin et décidée à « détruire un des milliers d’enfers semés sur terre par le génie psychopathe de l’homme », jouait, petite, avec une truie nommée Hyacinthe dans la ferme de sa grand-mère. Il y a encore des agriculteurs pour parler des agneaux et des porcelets qui les suivaient partout quand ils était gosses, à la fois compagnons de jeu et pitance future. Personne n’avait alors l’idée de les immobiliser leur vie durant dans des conditions tenant de la torture, de faire procréer artificiellement vingt porcelets d’un coup à des truies qui n’ont que quatorze tétines.

Dans son roman, qui démonte les rouages d’un système implacable, Laurence Biberfeld nous apprend que c’est dans les lycées agricoles, puis dans les filières spécialisées, au cœur de la formation des futurs éleveurs, qu’est non seulement enseignée mais imposée cette vision macabre. C’est là que son personnage, Sophie, commence à s’insurger. En laissant tout d’abord traîner à la bibliothèque un livre sur l’économie des camps de concentration nazis pour tenter de réveiller les consciences. Tant il est vrai qu’à force de considérer des animaux en fonction uniquement de ce qu’ils peuvent rapporter au gramme près, l’exploitant leur enlève tout droit à l’existence et cesse dès lors de les considérer comme des êtres.

Joël, lui, employé de l’élevage porcin où Sophie entre, BTS en poche, ne remet rien en question. Boulon teigneux des rouages de la chaîne, il tient les porcs pour responsables de ses propres conditions de travail. Ce sont des « saloperies » dont l’existence même, production continue d’agressions, menace son intégrité : «  Il en avait vingt-neuf, nés la veille ou dans la journée, à délester de leurs canines et de leur queue, et quarante-six, âgés de trois à dix jours, à châtrer. Il redoutait cette corvée, à cause de l’irrépressible vitalité des porcelets, qui se débattaient en hurlant à vous écorcher les oreilles. Malgré les boules Quiès, leurs cris perçants lui laminaient le crâne. (…) Une haine physique le débordait, lui donnait envie de leur faire mal, de leur faire peur. » Son travail consiste dès lors en une lutte à mort contre ses ennemis : « Les cochons, immondices vivants  » qui veulent sa perte et qu’il punit rageusement.

Dans ces conditions, traduire le langage des animaux pour rendre audible ce qu’ils ressentent n’est pas anodin, c’est leur redonner leur condition d’êtres sentant. C’est nous rappeler que ce steack, ce saucisson dont on a à peine conscience, qu’on mange en parlant d’autre chose, a fait partie d’un être vivant qui a vécu l’enfer toute sa courte vie  pour qu’un de ses morceaux, non-indispensable à notre survie, insipide et indigeste, intoxiqué au malheur, au stress, et à toutes sortes de produits chimiques dangereux pour notre santé, arrive dans notre assiette.

Dans Ce que chante le rouge gorge, Laurence Biberfeld donne la parole à ceux qui n’en ont pas, qu’ils soient animaux, végétaux, ou êtres humains.

Kits Hilaire

Ce que chante le rouge gorge, Éditions Au-delà du raisonnable,  2014