À l’heure où la lutte se poursuit sur le front des blocages de travaux autoroutiers, ce roman de 2009 qui se déroule durant la construction de l’A26 aurait pu redevenir d’actualité. Sachant que la gestion de l’autoroute est concédée jusqu’au 31 décembre 2032 à la Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France contrôlée par le groupe Albertis dont les dividendes s’envolent plus que jamais – alors que les infrastructures routières publiques se délitent faute de moyens sans que l’État n’abroge les juteuses concessions faites aux entités privées.
Malheureusement, lire Pascal Garnier ne nous apprendra rien sur les dessous du très rentable business autoroutier et ses multiples accointances avec les pouvoirs en place. Il part d’une affaire de féminicides commis dans les années 80 connue sous le nom de Disparues de l’A26. Ici s’arrête toute ressemblance avec des faits ayant existé.
Le roman nous conte l’histoire navrante d’un homme à l’article de la mort qui emploie ses dernières manifestations de vitalité à violer et tuer, histoire de s’accomplir enfin avant le saut final, tout en justifiant ses actes par une vieille sœur à charge et une vie ratée. Funeste santé trépidante, donc ; le quidam à la veille de la retraite étant, rappelons-le, décrit comme ayant un pied dans la tombe. Dès lors, une question se pose : où puise-t-il ses forces ? Dans sa seule foudroyante ignominie ? On ne le saura pas.
On lit, en renâclant mais ce n’est pas mal écrit, de plus en plus agacé par l’enchaînement de lieux communs et notre propre voix intérieure excédée, autant que lessivée par les incohérences du texte, s’adressant aussi bien à l’auteur – décédé, donc sourd à toute plainte -, qu’au personnage, et en dernier recours à nous-même : Mais pourquoi ? Pourquoi passer du temps ici ? N’y aurait-il pas mieux à faire ? ( Par exemple se joindre aux mobilisations contre les tronçons d’autoroute inutiles ?)
Car, somme toute, lorsqu’on a eu une vie paisible et qu’on n’en a plus que pour cinq minutes, va-t-on vraiment violer et tuer une adolescente sous le prétexte qu’on se fait là un dernier cadeau prouvant que notre existence ne s’est pas déroulée en vain ? Et finalement continuer sur cette lancée, étirant les dernières minutes au-delà de l’excusable ? Alors qu’on n’avait pas écorché le moindre chat auparavant ?
Et on se rend compte soudain qu’on a passé toute une vie à se demander pourquoi les écrivains, cinéastes, et autres, tenaient tant, en marge des faits divers en constante augmentation dans ce domaine, à massacrer des femmes. La première frustration étant la bonne. Trop bu ? Mal mangé, ou pas assez ? Frappé par son père ? Dominé par sa mère, son chien, son chef ou son voisin ? Mordu par une fourmi rouge ? Victime d’une vague démangeaison ? Ou rien, comme ça, comme là, juste par désœuvrement et envie de faire un truc qui change ? Allez hop je butte une gamine après l’avoir torturée, je l’explose… Des décennies à se demander pourquoi le public les suivait dans leur délectation macabre. Et si on verrait le jour où ces tortures et mises à mort s’arrêteraient enfin. Où on laisserait le corps des femmes et des petites filles tranquille enfin… Une vie entière.
C’est peu de dire que l’A26, démonstration misanthropique d’où, par définition, toute générosité est absente, invraisemblable enfonceur de porte ouverte, étriqué de vue autant que d’arguments, ne convainc pas.
Il provoque par contre une grande fatigue existentielle.
Kits Hilaire
L’A26 de Pascal Garnier, Zulma 2009
Photo L’A26 © Gina Cubeles